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littérature

  • nuit

    NUIT

    Il la chercha du regard dès son entrée dans la boîte de nuit. Elle était là comme d'habitude, assise à une table dans un coin au fond. Elle observait les danseurs se déhancher sur des rythmes saccadés. Elle semblait perdue dans son monde intérieur. Cyril s'installa à une table d'où il pouvait l'espionner à son aise. Peut-être qu'aujourd'hui, il oserait l'aborder. Pourtant, ce n'était pas un homme timide, bien au contraire. Requin de la finance, homme riche et conscient de son charme, il avait toutes les femmes qu'il voulait : alors pourquoi elle ?

    Cyril était fasciné, comme ensorcelé par cette inconnue dont il ignorait le nom.  Elle se leva, moulée dans une robe noire, ses cheveux flamboyant dansaient au creux de ses reins. Ses longues jambes nues attiraient les regards comme la lumière les papillons de nuits. Elle se mouvait avec une grâce de félin. Hypnotisés, les hommes et les femmes présents suivaient les mouvements fluides de chaque courbe de son corps. Cyril sentit un désir violent monter en lui, elle n'avait pas le droit de danser ainsi devant tous ces hommes ! Elle n'appartenait qu'à lui. L'aube allait se lever lorsqu'elle s'éclipsa. Après quelques hésitations, Cyril décida de la suivre. Lui, le séducteur, s'abaissait à filer une femme jusque chez elle. L'inconnue vivait dans un entrepôt près des quais, au milieu de bâtiments désaffectés. Quel endroit étrange pour une femme seule. Elle entra mais aucune lumière ne s'alluma à l'intérieur. Le jeune homme resta devant chez elle quelques minutes avant de s'en aller. Il avait au moins découvert son adresse. Il en apprendrait plus ce soir. Il était temps de rentrer se reposer, une importante réunion l'attendait en début d'après-midi.

     

    Cyril acheta une douzaine de roses et une bouteille de champagne. Il s'était décidé, ce soir, il ferait le premier pas. Peu importe ce qu'elle penserait. De toute manière, il ne croyait pas qu'elle refuserait l'invitation d'un homme fortuné et séduisant comme lui. Il frappa à sa porte mais ne reçut aucune réponse. Il insista, toujours rien. Demain, peut-être... Non ! Il ne pouvait pas attendre, cette femme avait un effet dévastateur sur ses sens. Il ne se reconnaissait plus. D'abord, il l'épiait comme un voyeur, la suivait puis allait maintenant pénétrer par effraction dans sa demeure. Un impérieux besoin de savoir, de la voir... de la toucher...

    Lorsqu'il pénétra dans l'appartement, il se crut transporté dans un autre monde. Un grand lit à baldaquin espagnol en fer forgé du XVIII ème siècles trônait dans un coin, sur un sol entièrement recouvert de parquet en sapin blanchi. De lourdes tentures tamisaient la lumière du soleil. Une immense serre d'orchidées occupait une partie de la surface d'habitation, à ses côtés un fauteuil moelleux accueillait un lourd ouvrage relié de cuir, très ancien. Sur une table basse en verre fumée trônait une chouette empaillée, les ailes écartées, prête à prendre son envol. Plusieurs petites boites à musique rondes étaient éparpillées dans la pièce chaude, en porcelaine fine, décorées chacune d'une légende ou d'un conte de fée. Cyril souleva l'un des couvercles au cabochon de cristal et la mélodie du célèbre ballet russe Schéhérazade s'éleva dans l'air parfumé. En violant son intimité, Cyril découvrit que l'inconnue était une artiste douée.et vivait seule Partout, ses œuvres dévoilaient la beauté et les mystères de son âme. Paysages oniriques, natures mortes, aucun portrait. Les thèmes récurrents de la nuit et de la lune s'imposaient dans son travail. Mais l'objet qui le fascina le plus se trouvait au centre du loft : une statue d'albâtre grandeur nature la représentant. Quel talent ! L'éclat de deux onyx à la place des yeux l'attirait irrésistiblement. La sculpture semblait vivante et la perfection des traits de l'inconnue magnifié. Cyril laissa glisser ses doigts tremblants le long du cou gracile puis jusqu'à la naissance des seins. Des pulsions insidieuses se propagèrent dans son bas ventre. Le jeune homme lâcha un juron. Voilà maintenant qu'il devenait fou de désir pour une statue de pierre ! Il déposa les présents qu'il avait apporté et s'enfuit avant le retour de la jeune femme.

     

    Annabelle ouvrit les yeux, les paupières lourdes d'un sommeil de pierre. Dehors, le crépuscule embrasait l'azur. Encore une nuit, une parmi des milliers. Elle était fatiguée, déprimée. Peut-être que ce soir, elle trouverait ce qu'elle cherchait. Lorsqu'elle aperçut posés sur la table basse un bouquet de roses et une bouteille de champagne, son cœur s'affola. Quelqu'un avait pénétré chez elle pendant qu'elle dormait ! Elle chercha mais ne trouva aucun mot. Elle ignorait l'identité de l'intrus. Peu importait d'ailleurs, elle poussa un profond soupir : elle n'avait goût à rien ce soir, elle irait donc directement danser. Un bon bain chaud la détendit et elle choisit une robe, sulfureuse, vaporeuse. Elle ne pouvait plus attendre, ce soir elle serait libre ou elle mourrait.

     

    Cyril entra et la chercha du regard aussitôt. Il faillit s'étouffer en la voyant sur la piste de danse. Comment osait-elle se montrer dans une tenue pareille ! Cette robe, à moitié transparente, ne cachait presque rien de son anatomie parfaite. Les autres hommes bavaient devant elle, ils dansaient autour d'elle, la frôlaient, la touchaient à chaque seconde. Un voile rouge tomba devant ses yeux et il s'avança, fou de rage. La musique techno emplissait la pièce, Annabelle se défonçait sur ses notes comme un drogué avec de l'ectasy. Cyril s'approcha d'elle et la saisit par la taille. Elle ouvrit les yeux, surprise. Il découvrit un regard insondable, bleu lagon et glacial.

    - Avez-vous aimé mes cadeaux ?

    - C'est vous qui avez pénétré chez moi ce matin !

    - Oui, je l'admets. J'ignore quelle folie m'a poussé à entrer malgré votre absence mais... depuis que je vous ai vu, je ne peux enlever votre image de ma tête. Je vous désire tellement.

    - Vous au moins vous ne vous embarrassez pas de préliminaires.

    - Peut-être, mais j'ai déjà trop attendu.

    Elle le fixa de l'air détaché d'une déesse. Il se sentit sondé jusqu'au fond de l'âme et frissonna, de désir ou de peur, il ne saurait le dire. À cette seconde, les yeux de la belle-de-nuit s'allumèrent d'une lueur diabolique, Cyril avala péniblement sa salive. Soudain, elle l'effrayait.

    - Que feriez-vous pour une nuit d'amour avec moi ? demanda-t-elle, gourmande.

    - Quoi ?

    Cyril en bégaya tant il fut surpris par la question. Une phrase lui revint à l'esprit : "Méfiez-vous de la beauté du diable"...

    - C'est vous qui m'avez abordée le premier. Je suis sûre que vous aviez déjà cette idée derrière la tête, est-ce que je me trompe?

    - Non... non.

    La voix douce et sensuelle se fit plus aguichante.

    - Alors que feriez-vous pour une nuit d'amour avec moi ? répéta-t-elle.

    - Tout...

    La réponse lui échappa, dictée par la chaleur naissante au creux de ses reins, à l'endroit où elle promenait ses mains diaphanes. Ses jambes tremblèrent lorsqu'il saisit le bras d'Annabelle  pour la guider jusqu'à sa voiture. Elle avait la peau douce comme de la soie.

    - Chez vous ou chez moi ? demanda-t-il.

    - Chez vous, s'il n'y a personne.

    - Il n'y a personne.

    Cyril conduisit comme s'il était au volant d'une formule 1 un jour de grand prix. Il l'entraîna directement à l'étage, dans sa chambre. Elle ouvrit les rideaux et la porte-fenêtre en grand puis s'avança de quelques pas sur le balcon, l'aube approchait. Elle offrit son visage radieux aux caresses du vent avant de se retourner vers lui. Elle cacha sous un battement de paupière l'éclair de mépris que lui inspirait cet homme. Il avait déjà retiré sa chemise. Elle quitta ses chaussures, marcha vers lui d'une démarche chaloupée et frôla du bout de ses doigts la poitrine glabre et Cyril fut secoué par mille frissons. Il laissa échapper un râle de plaisir avant de la saisir par la taille et de poser ses lèvres brûlantes sur la gorge odorante de la jeune beauté. Elle se dégagea lentement pour rejoindre le lit où elle avait posé son sac à main. Elle en sortit un rouleau de parchemin jauni, une aiguille et une plume d'aigle. Puis elle pivota vers Cyril.

    - Avant de poursuivre, tu dois signer ce document avec ton sang.

    - Quoi ! Qu'est-ce que c'est que cette blague !

    - Tu n'as pas oublié, tu as dit que tu ferais tout pour une nuit d'amour avec moi, tu te rappelles ?

    - Oui, je l'ai dit, mais...

    - Il n'y a rien de compliqué ou de dangereux, appose juste ta signature ici.

    Cyril hésita. Il ignorait ce que contenait ce papier.

    Elle dégrafa sa robe qui s'évanouit en corolle à ses pieds dans un bruissement de soie. Seigneur ! Le sang afflua au cerveau de Cyril, brouillant sa vue quelques secondes. Devant lui se trouvait exposé à son seul regard, le corps le plus parfait qui soit. Sa peau laiteuse  n'avait sans doute jamais connu les rayons du soleil, oiseau de nuit aux courbes voluptueuses. Cyril avait du mal à respirer, des gouttes de sueurs perlaient à son front. Il avança une main moite et tremblante vers cette femme qu'il désirait si fort. Un feu brûlant dévorait ses entrailles, il fallait qu'il s'abreuve aux fruits charnus de ses lèvres de corail. Mais Annabelle se déroba à ses baisers. Elle lui tendit le parchemin.

    - Si tu me veux, tu dois signer.

    La jeune femme s'allongea sur le lit, les cuisses écartées en une douce invitation. Elle laissa glisser ses doigts nacrés sur sa peau satinée. De sa bouche entrouverte s'échappaient de petits gémissements de plaisir.

    - Allez, viens ! Tu n'as donc pas envie de moi ? Qu'est-ce qu'une petite signature contre une nuit entière de jouissance et de plaisir ?

    Elle regarda par la fenêtre, l'aurore se lèverait bientôt, elle devait faire vite. Elle devint alors enjôleuse, tentatrice, provocante. Cyril ne comprenait pas ce qui le retenait. Son désir devenait si fort qu'il en avait mal à hurler. Il s'assit sur le lit auprès d'elle.

    - D'accord !

    Elle ferma les yeux une seconde pour dissimuler la lueur de triomphe qui traversa ses prunelles, puis saisit la main de Cyril et lui perça le bout du doigt avec l'aiguille. Elle recueillit ensuite quelques gouttes de sang pour y tremper la pointe de la plume qu'elle lui tendit. Puis elle déroula le bas du parchemin pour que l'homme puisse y apposer sa signature.

    Cyril observa le papier jauni, sa main hésita encore une seconde. La belle inconnue, au parfum envoûtant, déposa alors un baiser dans son cou. Une décharge électrique ébranla sa moelle épinière. Ses doigts tremblant s'agrippèrent à la plume et Cyril traça les lettres de son nom au bas du parchemin.

    Du coin de l'œil, elle surveillait le ciel. Cyril, enfin libéré de ses doutes, touchait, palpait, pétrissait ce corps de nymphe. Il puisa goulûment à sa bouche pulpeuse, ses mains accrochées dans la chevelure fauve. Sa langue glissait sur son cou d'albâtre pour ensuite descendre en spirale jusqu'à la porte de son intimité avec des grognements de plaisirs : elle était enfin à lui! La belle eut un frisson de dégoût et rejeta le corps mou de Cyril sur le coté. Elle s'approcha de la fenêtre, voilée par ses longs cheveux. Le soleil ! Qu'attendait le soleil pour se lever ! Elle ne résisterait pas encore longtemps aux assauts de cet homme.

    - Que vous arrive-t-il ? se plaignit Cyril.

    - Oh... rien, j'ai... un peu chaud...

    - J'ai une idée ma belle, allons poursuivre nos ébats sous la douche.

    Émoustillé par les images érotiques de leurs deux corps enlacés sous l'eau tiède, Cyril s'élança vers la jeune femme. À l'instant où sa main allait atteindre son bras, le jour se leva.

    Cyril se figea sous la première clarté de ce samedi matin. Une étrange transformation s'opérait en lui. Sa peau devint grise et  ses membres lourds. Il ne pouvait plus bouger un seul muscle. Enfin ! Enfin ! Elle avait réussit, elle était libre ! En face d'elle, la toute nouvelle statue l'interrogeait dans un cri silencieux. Enfin libre, elle valsa jusqu'au lit, attrapa le parchemin et lut à haute voix.

    - J'accepte de prendre la place du détenteur de ce parchemin. Je signe de mon sang pour rompre sa malédiction et la faire mienne. Humain la nuit, statue le jour.

    La jeune femme éclata de rire. Après plusieurs siècles de solitude, elle allait revivre. Des milliers de projets se bousculaient dans sa tête. Elle déposa un rapide baiser sur la joue rugueuse de la sculpture.

    - Je suis désolée, mais dans ce monde c'est chacun pour soi. La prochaine fois, tu y réfléchiras à deux fois avant de penser avec tes hormones !

    Elle goûta la douce caresse des rayons du soleil, une nouvelle vie s'offrait à elle.

     

  • rose suite et fin

    - Il est mort ?
    - Je ne sais pas. Je suis d’avis de partir d’ici sans perdre de temps.
    - Ouais, t’as raison p’tite Rose.
    Les deux amis longèrent la rivière sur plusieurs kilomètres. Rose se tordit plusieurs fois les chevilles sur le terrain inégal des berges. Ses mollets étaient durs comme de la pierre lorsqu’elle arriva en haut du talus. Elle s’écroula sur le bord de la route, épuisée. De toute manière, elle ne pouvait plus marcher. Allongée sur le dos, les bras en croix, elle observait le vol des nuages. Une soudaine mélancolie s’empara de son âme.
    - Ce serait bien si on pouvait grimper sur l’un d’eux et se laisser emporter au gré du vent.
    Pip nettoyait avec attention son beau pelage roux.
    - Tu as raison. Il y a longtemps que je ne me suis pas vue dans un miroir. Je ne dois pas être belle à voir.
    - P’tite Rose très jolie. Visage blanc comme pétale de marguerite. Yeux noirs très luisants avec jolis cernes bleus.
    - C’est gentil. (Elle redressa la tête pour envelopper son corps d’un regard las). Mes vêtements ne sont plus que des loques. Quant à mes bras, on dirait le barbouillage d’un enfant de trois ans.
    Rose reposa sa tête sur le sol.
    - Tremblement de terre, troupeau d’éléphants ou autre chose. Je ne bouge plus d’ici avant … un certain temps.
    Pip posa sa joue soyeuse sur celle de son amie comme s’il ressentait sa peine.

    Rose et Pip déambulaient à présent sur une autoroute désertique.
    - A quoi ça sert une autoroute sans voiture ! Tu peux me le dire Pip ? J’en ai marre de marcher.
    L’écureuil qui bondissait devant elle, s’arrêta, cligna des yeux et poursuivit son jeu. Au bout d’une demi-heure, Rose aperçut des petites cahutes.
    - C’est pas vrai, j’hallucine. Un péage ! Ici?
    - Ouais, y a p’t-être à manger, là-bas ?
    - Pip, tu ne penses qu’à ton estomac.
    - Cccc’est pas ma faute si j’ai toujours faim.
    Rose se plaça face à la barrière, il n’y avait personne pour la lever. Pip voulut passer en dessous mais fut arrêté par une barrière invisible.
    - Eh ! P’tite Rose, comment on passe de l’autre côté ? Dis, hein !
    - Je ne sais pas.
    A sa droite se trouvait un drôle d’appareil. Elle l’observa de plus près.
    - C’est bizarre. Cette drôle de marque ressemble à la forme de mon pendentif.
    Rose posa son bijou dans l’emplacement. La barrière se leva devant une porte lumineuse.
    - Eh ! Tu vas pas rentrer là, dis hein ? Tu vas pas!
    - Je ne pense pas avoir beaucoup de choix. Allons, un peu de courage !
    Rose disparu, Pip la suivit avec réticence.
    Ils réapparurent dans une sorte d’arène chromée.
    - Je n’aurais jamais cru que tu puisses arriver jusque là !
    Une voix féminine résonna en échos dans le silence du lieu.
    - Qui est là ?
    Pip s’accrocha à la cheville de Rose.
    - Oui vraiment je suis surprise. Toi, si lâche, tellement habituée à ta petite vie confortable.
    Rose cherchait d’où provenait cette voix, mais elle ne voyait rien.
    - Tu as réussi à aider le vieil homme sur son pont. Ce n’est pas dans tes habitudes de prendre des risques. Tu préfères la fuite.
    - Je ne comprends pas !
    - Tu crois que c’est fini et que tu vas pouvoir rentrer chez toi ? Erreur ! Tu as réussi à surmonter les épreuves que je t’avais envoyées. Il est l’heure maintenant de l’ultime test.
    - P’tite Rose, derrière toi ! Oh c’est pas bon çççça ! Pas bon !
    Rose se retourna pour croiser un regard plein de colère.
    - C’est moi! Non, c’est impossible !
    Elle lui ressemblait, c’est vrai mais elle était plus belle. Son regard possédait une assurance sans faille.
    - Pourquoi ? Au contraire ! Tout est possible et tu vas mourir ici.
    En deux enjambées, l’autre s’approcha et la frappa au plexus solaire. Rose s’effondra en toussant.
    - Un peu mou tout ça. Tu n’as pas encore compris les règles du jeu de cet endroit ?
    Elle ponctua sa phrase d’un coup de pied dans l’estomac.
    - Allez, défends-toi !
    - Je ne veux pas me battre contre toi. Je veux me battre contre personne. Tout ce que je veux c’est rentrer chez moi, retrouvez ma vie d’avant.
    - Ta vie d’avant ! Laisse-moi rire. Tu n’avais pas de vie ! La route que tu as parcourue ces derniers jours t’a apporté plus d’émotions que tu n’en as jamais ressentie dans toute ta pitoyable existence !
    Recroquevillée, Rose crispait ses mains sur son estomac. Elle ne comprenait rien. Comment mettre fin à ce cauchemar?
    - Je n’ai pas demandé à venir ici !
    - Oh je t’en prie, tu ne vas pas rejeter la faute sur quelqu’un d’autre ! Chacun de nous est maître de son destin. N’as-tu rien retenu de ton parcours dans notre monde ?
    - Je me suis retrouvée sur cette route inconnue.
    - Mais ensuite, ensuite tu as été libre de tes actions. Tu aurais pu aller au nord, ou au nord-ouest : tu as choisi d’aller au sud. Tu aurais pu laisser ce vieil idiot au milieu de son pont. Ainsi, il ne t’aurait pas donné le pendentif. Sans ce bijou, tu ne serais pas là, en face de moi.
    Son double s’approcha de l’oreille de Rose et lui chuchota.
    - A chaque intersection, tu as choisi ton chemin. Tu n’as pas mangé l’écureuil et grâce à lui tu as échappé au cavalier. Qui sait où tu serais maintenant si tu avais fait des choix différents ?
    Elle plaça ses doigts autour du cou de Rose et commença à l’étrangler. Rose essayait de desserrer l’étreinte mortelle sans succès. L’air commençait à lui manquer.
    -Aïe ! Sale bête !
    La femme attrapa Pip qui avait enfoncé ses dents dans sa main et qui se cramponnait de toutes ses petites forces. Rose roula sur le côté et avala goulûment de l’air frais.
    - Ooooaaah !
    L’écureuil vola à travers la pièce et s’assomma contre un mur.
    - Pip ! Laisse-le tranquille !
    - Sinon quoi ? (Elle suçait sa plaie à la main ) Tu vas me frapper ? Franchement je me demande comment tu as pu obtenir quatre perles ?
    Rose regarda son pendentif. Elle ne l’avait pas remarqué, mais deux autres perles étaient apparues à l’extrémité des pétales.
    - Mon voyage et mes rencontres ?
    - Tes actions surtout. Tu as été jugée sur ce que tu es vraiment au fond de toi et que tu as eu le courage de montrer.
    - Toi, tu es une partie de moi. Celle que je bâillonne et séquestre.
    - Oui ! J’en ai marre d’être rejetée. Accepte-moi, je ne suis pas mauvaise.
    - J’ai peur.
    - Ne recommences pas où je te tue pour de bon ! Tu dois te libérer !
    - Aaah !
    Rose se plia en deux.
    - Qu’est-ce que tu as ?
    - Je ne sais pas une douleur à la poitrine.
    L’autre Rose l’aida à se relever.
    - Cesse de lutter contre toi-même. Il est temps pour toi d’accéder à un niveau supérieur de ton existence.
    Un nouveau spasme déchira les entrailles de Rose.
    - Rose, nous n’avons plus beaucoup de temps.
    - Qu’est-ce que tu veux dire ?
    - Ton âme a commencé son ascension, hélas ton enveloppe charnelle à perdue beaucoup de son énergie vitale. Nous devons fusionner immédiatement.
    - Deux personnes s’affrontent en vous. Chacune d’elle veux prendre le pouvoir. Cette lutte incessante consomme une énergie terrifiante. Cessez le combat, lui avait dit son psychanalyste.
    Elles échangèrent un sourire. Rose déposait les armes. La jeune femme arrivait au bout son voyage. Elle savait désormais quelle route suivre.

    - On est en train de la perdre ! On essaye encore !
    Le médecin posa les palettes du défibrillateur sur la poitrine de Rose.
    - Chargez ! Dégagez !
    - Toujours rien !
    - Encore une fois ! Ce n’est pas possible ! Dégager !
    Biiiiiip.
    - Elle est morte. Pourtant elle n’avait aucun antécédent cardiaque. C’est incompréhensible !
    Biiiiip.
    - Eteignez les moniteurs. Heure du décès, 15h50.

  • Rose

    Voici un texte que j'avais écris pour un concours de nouvelles dont le thème était la route.
    Voilà la première partie.

    ROSE

    Rose ouvrit les yeux. La première chose qu’elle vit fut un ensemble d’étranges sculptures de craie. Couchée à plat ventre sur du goudron, la tête douloureuse, elle se redressa péniblement en titubant. Autour d’elle, des troncs de bois mort se dressaient tels des spectres dans un paysage martien. Rose ne reconnaissait pas cet endroit. Une large route traversait un désert de roc et de poussière. Un sentiment d’angoisse lui pinça le cœur. Où était-elle ? Que faisait-elle là ?
    - Eh ! Oh ! Il y a quelqu’un ?
    Son cri s’envola en écho dans le silence absolu de ce lieu. Pas de réponse. Le cœur de la jeune femme s’accéléra encore un peu plus. Après moult hésitations, Rose décida finalement d’avancer et marcha pendant des heures sans rencontrer âme qui vive. Le bitume collait à ses semelles. Sous la brûlure du soleil, son teint clair devenait cramoisi, ses épaules plus lourdes. Sa longue chevelure marinait dans sa sueur. Protégeant ses yeux avec ses mains, elle cherchait une trace d’eau, même infime, pour apaiser sa soif.
    - Cette route doit bien mener quelque part !
    Mais pour l’instant, rien, tout n’était que feu et désolation. Elle continua. Au bout de quelque temps, elle finit par atteindre un amalgame de pierres. Haletante, Rose s’approcha d’un rocher qui lui offrit un peu d’ombre. La chaleur étouffante n’avait pas disparu mais son corps tout entier apprécia de se cacher quelques instants du soleil. La transpiration trempait son t-shirt tandis que son jean brûlait ses cuisses. Elle scruta les alentours. Si elle avait osé, elle se serait mise en sous-vêtements.
    - Non, je ne peux pas faire ça. Que penseraient les gens de moi ?
    Sa vie entière était conditionnée par l’opinion des autres, surtout ne pas décevoir, ne pas choquer. Aussi, malgré son désir et le simple bon sens, elle préféra continuer de suffoquer.
    - Je suis en enfer, j’en suis sûre !
    Rose ne reconnut pas la voix rauque qui s’échappa de sa gorge desséchée. Le sang pulsait à ses tempes. Soudain, une violente nausée la plia en deux. Elle ne se sentait pas bien du tout. Mais où se trouvait-elle, bon sang ? Et surtout, comment était-elle arrivée ici ? Voilà la question qu’elle se posait sans cesse depuis le début de son aventure.
    - Je donnerai n’importe quoi pour être affalée au frais, un énorme pot de glace au chocolat sur les genoux.
    La jeune femme ne pouvait plus avancer. Elle avait l’impression que ses pieds avaient fusionné avec le sol. À bout de force, Rose s’assoupit au milieu de nulle part.

    Rose s’éveilla en sursaut. Mon dieu, quel cauchemar !
    - Oh non ! C’est bien la réalité.
    Cette maudite route était toujours là. La nuit était tombée. Quelques étoiles l’éclairaient à peine. Un frisson parcourut son corps. Après la chaleur de plomb, le froid. Elle essaya de se lever mais ses jambes flageolantes refusèrent de la porter. Son corps réclamait de la nourriture et surtout de l’eau.
    - Pourquoi moi ?
    Son dernier souvenir ? Dernier souvenir … elle marche dans la rue, insouciante et … plus rien.
    - La peste soit de cette mémoire !
    Après plusieurs tentatives pour se lever, Rose réussit à reprendre son chemin. Le regard fixé droit devant, elle serrait ses bras contre son buste pour se réchauffer. Chacun de ses pas était un véritable calvaire.
    Elle poursuivit sa marche jusqu’au matin. Rose se rendit compte que le paysage avait changé. Un peu de verdure apparaissait par-ci par-là sur les bords de la route devenue caillouteuse.
    - Au secours ! Quelqu’un ! Aidez-moi !
    Rose sursauta. Son imagination lui jouait-elle des tours ? Une voix masculine, mais où ? Le son semblait venir de la droite. La jeune femme hésita. Devait-elle quitter sa route pour aller voir, au risque de se perdre ou continuer ? Une route menait toujours quelque part, pas vrai ? Tôt ou tard, elle arriverait au bout de son long périple. Du moins, l’espérait-elle.
    - Au secours ! Je vous en prie, aidez-moi !
    Après bien des hésitations, elle se décida. On n’abandonnait pas une personne en difficulté. Après tout, l’appel ne venait pas de si loin, elle avait peu de chance de s’égarer.
    - Arrête un peu de te poser des questions et décide-toi !
    Après plusieurs minutes de marche sur un chemin broussailleux, Rose déboucha subitement sur un splendide paysage de montagne. Un vieil homme se trouvait au centre d’un pont suspendu très étroit.
    - S’il vous plaît, jeune femme, je n’arrive pas à me relever.
    Rose s’approcha du bord et regarda en bas avant de reculer aussitôt. Le vide à ses pieds menaçait de l’aspirer.
    - N’ayez pas peur, le pont est solide.
    “N’ayez pas peur. Il en a de bonne, pensa la jeune femme. On voit bien que ce n’est pas lui qui a le vertige.”
    - Si je viens vous chercher, je vais tomber, lui cria-t-elle en reculant d’un pas.
    - Si vous avancez avec prudence, il n’y a aucun risque.
    - Faites un effort, tirez sur vos bras.
    - En tombant, je me suis tordu la cheville.
    Rose tordait ses doigts. Elle l’aiderait bien s’il n’était pas au centre d’un pont si haut et si fragile.
    - Je vous assure qu’il n’y a aucun danger. J’ai glissé sur le bois humide comme un idiot mais vous, vous êtes plus jeune, tout se passera bien, insista le vieil homme.
    Une lutte acharnée se déroulait dans la tête de la jeune femme. Deux petites voix, deux avis opposés : l’aider ou ne pas l’aider ? Rose ne prenait jamais de risque, c’est sans doute pour ça que sa vie était aussi ennuyeuse. Elle avait pourtant le cœur généreux.
    - Chassez vos idées négatives qui paralysent vos actions et avancez en confiance.
    Rose poussa un profond soupir et agrippa la corde. Elle ne devait pas renoncer avant d’avoir essayé. Un pas après l’autre, elle avança très lentement sur le pont. Avec prudence, la jeune femme aida le vieil homme à revenir sur la terre ferme.
    - Vous voyez, ce n’était pas si difficile.
    Il lui souriait mais Rose ne pouvait s’empêcher de trembler. Le violent effort contre sa peur l’avait vidée du peu de forces qui lui restait. L’inconnu lui tendit alors un magnifique pendentif, de la taille d’une paume d’enfant. Il représentait une fleur à quatre pétales avec une perle vert clair sur deux des extrémités. Des tas de questions se bousculaient dans la tête de Rose. Le vieil homme saisit la main de la jeune femme et y déposa le bijou.
    - Pour vous remercier.
    Rose recula d’un pas.
    - Je ne peux pas accepter un présent aussi beau.
    - J’insiste. Vous l’avez bien mérité. Oh, j’allais oublier, prenez ceci aussi.
    Et sans lui laisser le temps de répondre ou bien de l’interroger, le vieil homme disparut. Elle était à nouveau seule.
    La jeune femme observa le drôle de fruit mauve qu’il lui avait donné. Elle n’en avait jamais vu de pareil. Rose rebroussa chemin mais, au bout de quelques pas, elle se rendit compte qu’elle ne reconnaissait plus rien. Elle allait céder à la panique lorsqu’elle se rappela les paroles du vieil homme.
    - Calme-toi, ma fille, calme-toi. Tu dois penser positif.
    Elle se retourna. Il était bien parti quelque part.
    - Ce que tu peux être bête, pourquoi tu ne lui as pas demandé ta route ?
    Rose découvrit un sentier qui longeait le précipice. Il la conduisit bientôt au cœur d’une sombre forêt. Les sapins, plusieurs fois centenaires, formaient une voûte que les rayons du soleil avaient du mal à percer. Quels contrastes étonnant ! La jeune femme venait de traverser trois paysages aussi différents sans aucune transition. Curieux.
    La fatigue eut bientôt raison de sa volonté et Rose se laissa tomber au pied d’un résineux. La fraîcheur du sous-bois apaisait un peu sa peau douloureuse. Si elle n’était pas perdue, elle aurait mieux apprécié ce cadre paisible. Dans un vilain gargouillis, son estomac se rappela à son bon souvenir. Sans précipitation, Rose dégusta le fruit mauve que lui avait donné le vieil homme.
    - Dieu, que c’est bon.
    A sa grande surprise, le fruit fut suffisant pour étancher sa faim et sa soif. Rose observa le pendentif. L’objet était doux au toucher et légèrement chaud. Les deux perles étaient fascinantes. La forêt silencieuse berçait les sens de la jeune femme, doucement ses yeux se fermèrent.
    Rose se tenait immobile au centre d’un carrefour. Un brouillard écarlate dansait autour de ses chevilles. Elle était seule mais elle sentait une présence invisible autour d’elle. Quelle direction choisir ? Elle n’arrivait pas à se décider. Soudain, la brume commença à l’envelopper dans un cocon glacé. La jeune femme essaya de se dégager sans succès. La paralysie atteignit rapidement son buste. Rose hurla.
    - Oui. Libère-toi. N’aie pas honte d’exprimer ce que tu ressens au fond de toi.
    - Qui a parlé ? Qui est là ?

    Un craquement sec arracha Rose de son sommeil. Quelqu’un marchait tout prés. De minces raies de lumière lunaire transperçaient par endroits les ténèbres de la nuit. L’air frais et un sentiment de peur achevèrent de la réveiller.
    - Eh ma toute belle ! Tu es perdue ?
    Un homme venait de surgir à sa gauche.
    - L’endroit n’est pas sûr !
    Un autre s’avançait vers elle.
    - Ouais !
    - Tu vas nous donner tout ce que tu as !
    Rose cédait à la panique. Ses pensées débordaient d’images morbides. Elle allait mourir ou pire. Que devait-elle faire ? Un des bandits l’attrapa par un bras. Affolée, elle lança son pied au hasard.
    - Aïe !
    Son agresseur la lâcha pour se plier en deux. Elle tomba sur le sol. Ses mains tâtonnèrent à la recherche d’une arme éventuelle avant de se refermer sur une grosse branche. La jeune femme se releva. Les doigts crispés sur le morceau de bois, elle frappa au hasard en tourbillonnant.
    - Ahhhh !
    - Franck ? Franck ! Sale morveuse !

    A suivre.