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nuit

NUIT

Il la chercha du regard dès son entrée dans la boîte de nuit. Elle était là comme d'habitude, assise à une table dans un coin au fond. Elle observait les danseurs se déhancher sur des rythmes saccadés. Elle semblait perdue dans son monde intérieur. Cyril s'installa à une table d'où il pouvait l'espionner à son aise. Peut-être qu'aujourd'hui, il oserait l'aborder. Pourtant, ce n'était pas un homme timide, bien au contraire. Requin de la finance, homme riche et conscient de son charme, il avait toutes les femmes qu'il voulait : alors pourquoi elle ?

Cyril était fasciné, comme ensorcelé par cette inconnue dont il ignorait le nom.  Elle se leva, moulée dans une robe noire, ses cheveux flamboyant dansaient au creux de ses reins. Ses longues jambes nues attiraient les regards comme la lumière les papillons de nuits. Elle se mouvait avec une grâce de félin. Hypnotisés, les hommes et les femmes présents suivaient les mouvements fluides de chaque courbe de son corps. Cyril sentit un désir violent monter en lui, elle n'avait pas le droit de danser ainsi devant tous ces hommes ! Elle n'appartenait qu'à lui. L'aube allait se lever lorsqu'elle s'éclipsa. Après quelques hésitations, Cyril décida de la suivre. Lui, le séducteur, s'abaissait à filer une femme jusque chez elle. L'inconnue vivait dans un entrepôt près des quais, au milieu de bâtiments désaffectés. Quel endroit étrange pour une femme seule. Elle entra mais aucune lumière ne s'alluma à l'intérieur. Le jeune homme resta devant chez elle quelques minutes avant de s'en aller. Il avait au moins découvert son adresse. Il en apprendrait plus ce soir. Il était temps de rentrer se reposer, une importante réunion l'attendait en début d'après-midi.

 

Cyril acheta une douzaine de roses et une bouteille de champagne. Il s'était décidé, ce soir, il ferait le premier pas. Peu importe ce qu'elle penserait. De toute manière, il ne croyait pas qu'elle refuserait l'invitation d'un homme fortuné et séduisant comme lui. Il frappa à sa porte mais ne reçut aucune réponse. Il insista, toujours rien. Demain, peut-être... Non ! Il ne pouvait pas attendre, cette femme avait un effet dévastateur sur ses sens. Il ne se reconnaissait plus. D'abord, il l'épiait comme un voyeur, la suivait puis allait maintenant pénétrer par effraction dans sa demeure. Un impérieux besoin de savoir, de la voir... de la toucher...

Lorsqu'il pénétra dans l'appartement, il se crut transporté dans un autre monde. Un grand lit à baldaquin espagnol en fer forgé du XVIII ème siècles trônait dans un coin, sur un sol entièrement recouvert de parquet en sapin blanchi. De lourdes tentures tamisaient la lumière du soleil. Une immense serre d'orchidées occupait une partie de la surface d'habitation, à ses côtés un fauteuil moelleux accueillait un lourd ouvrage relié de cuir, très ancien. Sur une table basse en verre fumée trônait une chouette empaillée, les ailes écartées, prête à prendre son envol. Plusieurs petites boites à musique rondes étaient éparpillées dans la pièce chaude, en porcelaine fine, décorées chacune d'une légende ou d'un conte de fée. Cyril souleva l'un des couvercles au cabochon de cristal et la mélodie du célèbre ballet russe Schéhérazade s'éleva dans l'air parfumé. En violant son intimité, Cyril découvrit que l'inconnue était une artiste douée.et vivait seule Partout, ses œuvres dévoilaient la beauté et les mystères de son âme. Paysages oniriques, natures mortes, aucun portrait. Les thèmes récurrents de la nuit et de la lune s'imposaient dans son travail. Mais l'objet qui le fascina le plus se trouvait au centre du loft : une statue d'albâtre grandeur nature la représentant. Quel talent ! L'éclat de deux onyx à la place des yeux l'attirait irrésistiblement. La sculpture semblait vivante et la perfection des traits de l'inconnue magnifié. Cyril laissa glisser ses doigts tremblants le long du cou gracile puis jusqu'à la naissance des seins. Des pulsions insidieuses se propagèrent dans son bas ventre. Le jeune homme lâcha un juron. Voilà maintenant qu'il devenait fou de désir pour une statue de pierre ! Il déposa les présents qu'il avait apporté et s'enfuit avant le retour de la jeune femme.

 

Annabelle ouvrit les yeux, les paupières lourdes d'un sommeil de pierre. Dehors, le crépuscule embrasait l'azur. Encore une nuit, une parmi des milliers. Elle était fatiguée, déprimée. Peut-être que ce soir, elle trouverait ce qu'elle cherchait. Lorsqu'elle aperçut posés sur la table basse un bouquet de roses et une bouteille de champagne, son cœur s'affola. Quelqu'un avait pénétré chez elle pendant qu'elle dormait ! Elle chercha mais ne trouva aucun mot. Elle ignorait l'identité de l'intrus. Peu importait d'ailleurs, elle poussa un profond soupir : elle n'avait goût à rien ce soir, elle irait donc directement danser. Un bon bain chaud la détendit et elle choisit une robe, sulfureuse, vaporeuse. Elle ne pouvait plus attendre, ce soir elle serait libre ou elle mourrait.

 

Cyril entra et la chercha du regard aussitôt. Il faillit s'étouffer en la voyant sur la piste de danse. Comment osait-elle se montrer dans une tenue pareille ! Cette robe, à moitié transparente, ne cachait presque rien de son anatomie parfaite. Les autres hommes bavaient devant elle, ils dansaient autour d'elle, la frôlaient, la touchaient à chaque seconde. Un voile rouge tomba devant ses yeux et il s'avança, fou de rage. La musique techno emplissait la pièce, Annabelle se défonçait sur ses notes comme un drogué avec de l'ectasy. Cyril s'approcha d'elle et la saisit par la taille. Elle ouvrit les yeux, surprise. Il découvrit un regard insondable, bleu lagon et glacial.

- Avez-vous aimé mes cadeaux ?

- C'est vous qui avez pénétré chez moi ce matin !

- Oui, je l'admets. J'ignore quelle folie m'a poussé à entrer malgré votre absence mais... depuis que je vous ai vu, je ne peux enlever votre image de ma tête. Je vous désire tellement.

- Vous au moins vous ne vous embarrassez pas de préliminaires.

- Peut-être, mais j'ai déjà trop attendu.

Elle le fixa de l'air détaché d'une déesse. Il se sentit sondé jusqu'au fond de l'âme et frissonna, de désir ou de peur, il ne saurait le dire. À cette seconde, les yeux de la belle-de-nuit s'allumèrent d'une lueur diabolique, Cyril avala péniblement sa salive. Soudain, elle l'effrayait.

- Que feriez-vous pour une nuit d'amour avec moi ? demanda-t-elle, gourmande.

- Quoi ?

Cyril en bégaya tant il fut surpris par la question. Une phrase lui revint à l'esprit : "Méfiez-vous de la beauté du diable"...

- C'est vous qui m'avez abordée le premier. Je suis sûre que vous aviez déjà cette idée derrière la tête, est-ce que je me trompe?

- Non... non.

La voix douce et sensuelle se fit plus aguichante.

- Alors que feriez-vous pour une nuit d'amour avec moi ? répéta-t-elle.

- Tout...

La réponse lui échappa, dictée par la chaleur naissante au creux de ses reins, à l'endroit où elle promenait ses mains diaphanes. Ses jambes tremblèrent lorsqu'il saisit le bras d'Annabelle  pour la guider jusqu'à sa voiture. Elle avait la peau douce comme de la soie.

- Chez vous ou chez moi ? demanda-t-il.

- Chez vous, s'il n'y a personne.

- Il n'y a personne.

Cyril conduisit comme s'il était au volant d'une formule 1 un jour de grand prix. Il l'entraîna directement à l'étage, dans sa chambre. Elle ouvrit les rideaux et la porte-fenêtre en grand puis s'avança de quelques pas sur le balcon, l'aube approchait. Elle offrit son visage radieux aux caresses du vent avant de se retourner vers lui. Elle cacha sous un battement de paupière l'éclair de mépris que lui inspirait cet homme. Il avait déjà retiré sa chemise. Elle quitta ses chaussures, marcha vers lui d'une démarche chaloupée et frôla du bout de ses doigts la poitrine glabre et Cyril fut secoué par mille frissons. Il laissa échapper un râle de plaisir avant de la saisir par la taille et de poser ses lèvres brûlantes sur la gorge odorante de la jeune beauté. Elle se dégagea lentement pour rejoindre le lit où elle avait posé son sac à main. Elle en sortit un rouleau de parchemin jauni, une aiguille et une plume d'aigle. Puis elle pivota vers Cyril.

- Avant de poursuivre, tu dois signer ce document avec ton sang.

- Quoi ! Qu'est-ce que c'est que cette blague !

- Tu n'as pas oublié, tu as dit que tu ferais tout pour une nuit d'amour avec moi, tu te rappelles ?

- Oui, je l'ai dit, mais...

- Il n'y a rien de compliqué ou de dangereux, appose juste ta signature ici.

Cyril hésita. Il ignorait ce que contenait ce papier.

Elle dégrafa sa robe qui s'évanouit en corolle à ses pieds dans un bruissement de soie. Seigneur ! Le sang afflua au cerveau de Cyril, brouillant sa vue quelques secondes. Devant lui se trouvait exposé à son seul regard, le corps le plus parfait qui soit. Sa peau laiteuse  n'avait sans doute jamais connu les rayons du soleil, oiseau de nuit aux courbes voluptueuses. Cyril avait du mal à respirer, des gouttes de sueurs perlaient à son front. Il avança une main moite et tremblante vers cette femme qu'il désirait si fort. Un feu brûlant dévorait ses entrailles, il fallait qu'il s'abreuve aux fruits charnus de ses lèvres de corail. Mais Annabelle se déroba à ses baisers. Elle lui tendit le parchemin.

- Si tu me veux, tu dois signer.

La jeune femme s'allongea sur le lit, les cuisses écartées en une douce invitation. Elle laissa glisser ses doigts nacrés sur sa peau satinée. De sa bouche entrouverte s'échappaient de petits gémissements de plaisir.

- Allez, viens ! Tu n'as donc pas envie de moi ? Qu'est-ce qu'une petite signature contre une nuit entière de jouissance et de plaisir ?

Elle regarda par la fenêtre, l'aurore se lèverait bientôt, elle devait faire vite. Elle devint alors enjôleuse, tentatrice, provocante. Cyril ne comprenait pas ce qui le retenait. Son désir devenait si fort qu'il en avait mal à hurler. Il s'assit sur le lit auprès d'elle.

- D'accord !

Elle ferma les yeux une seconde pour dissimuler la lueur de triomphe qui traversa ses prunelles, puis saisit la main de Cyril et lui perça le bout du doigt avec l'aiguille. Elle recueillit ensuite quelques gouttes de sang pour y tremper la pointe de la plume qu'elle lui tendit. Puis elle déroula le bas du parchemin pour que l'homme puisse y apposer sa signature.

Cyril observa le papier jauni, sa main hésita encore une seconde. La belle inconnue, au parfum envoûtant, déposa alors un baiser dans son cou. Une décharge électrique ébranla sa moelle épinière. Ses doigts tremblant s'agrippèrent à la plume et Cyril traça les lettres de son nom au bas du parchemin.

Du coin de l'œil, elle surveillait le ciel. Cyril, enfin libéré de ses doutes, touchait, palpait, pétrissait ce corps de nymphe. Il puisa goulûment à sa bouche pulpeuse, ses mains accrochées dans la chevelure fauve. Sa langue glissait sur son cou d'albâtre pour ensuite descendre en spirale jusqu'à la porte de son intimité avec des grognements de plaisirs : elle était enfin à lui! La belle eut un frisson de dégoût et rejeta le corps mou de Cyril sur le coté. Elle s'approcha de la fenêtre, voilée par ses longs cheveux. Le soleil ! Qu'attendait le soleil pour se lever ! Elle ne résisterait pas encore longtemps aux assauts de cet homme.

- Que vous arrive-t-il ? se plaignit Cyril.

- Oh... rien, j'ai... un peu chaud...

- J'ai une idée ma belle, allons poursuivre nos ébats sous la douche.

Émoustillé par les images érotiques de leurs deux corps enlacés sous l'eau tiède, Cyril s'élança vers la jeune femme. À l'instant où sa main allait atteindre son bras, le jour se leva.

Cyril se figea sous la première clarté de ce samedi matin. Une étrange transformation s'opérait en lui. Sa peau devint grise et  ses membres lourds. Il ne pouvait plus bouger un seul muscle. Enfin ! Enfin ! Elle avait réussit, elle était libre ! En face d'elle, la toute nouvelle statue l'interrogeait dans un cri silencieux. Enfin libre, elle valsa jusqu'au lit, attrapa le parchemin et lut à haute voix.

- J'accepte de prendre la place du détenteur de ce parchemin. Je signe de mon sang pour rompre sa malédiction et la faire mienne. Humain la nuit, statue le jour.

La jeune femme éclata de rire. Après plusieurs siècles de solitude, elle allait revivre. Des milliers de projets se bousculaient dans sa tête. Elle déposa un rapide baiser sur la joue rugueuse de la sculpture.

- Je suis désolée, mais dans ce monde c'est chacun pour soi. La prochaine fois, tu y réfléchiras à deux fois avant de penser avec tes hormones !

Elle goûta la douce caresse des rayons du soleil, une nouvelle vie s'offrait à elle.

 

Commentaires

  • Belle histoire contre le courant de la vie moderne oule rêve n existe plus

  • merci, vous êtes gentil.

  • La femme est donc si rusee qu il faut se mefier?Et psychologiquement un avertissement du aux fantasmes parfois necessaires a un bon accouplement .

  • La femme est donc si rusee qu il faut se mefier?Et psychologiquement un avertissement du aux fantasmes parfois necessaires a un bon accouplement .

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