Weborama mesure d'audience, statistiques, ROI, régie, publicité
Classement des meilleurs sites et positionnement Votez pour ce site au Weborama Votez pour ce site au Weborama

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ambre

AMBRE

Des yeux l’épient. Ambre le sait. Elle le devine. Qui l’observe ainsi ? Pourquoi ? Un visage de femme apparaît, un rictus sur les lèvres mais le regard si triste. La douleur à l’estomac s’intensifie pour devenir intolérable. Un rire sardonique éclate. Louise la blonde et Madeleine la brune, comment connaît-elle leur nom ? La respiration rapide, elle sent son cœur s’arrêter. La peur se mêle à la souffrance et l’emporte dans un puits sans fond.
Ambre se redressa dans ses draps moites, haletante. Seigneur ! Les cauchemars devenaient de plus en plus fréquents et inquiétants. Elle alluma sa lampe de chevet d’une main tremblante. Le radio réveil indiquait deux heures du matin.
- Encore une nuit blanche en perspective. Si seulement Lutin était encore là, il savait chasser les mauvais rêves, lui.
Le lit semblait si vide sans la présence réconfortante de son matou. Le félin était mort trois jours plus tôt, après seize années de tendre complicité. Ambre soupira en se dirigeant vers la cuisine. Une tasse de chocolat la revigorerait. Les rayons de lune de ce mois de février baignaient la pièce d’une lueur bleutée qui l’enchantait toujours autant.
- Que m’arrive-t-il ? demanda-t-elle à son reflet dans la fenêtre.
Les souvenirs lui revenaient en mémoire comme les fois précédentes. Deux semaines déjà que tout allait de travers. Les yeux clos, Ambre huma le parfum délicat du breuvage crémeux. Des images se formèrent à nouveau dans son esprit, floues, insaisissables.
“ … Louise, vêtue d’une robe dix-huitième, caresse une boite à bijoux. Un homme murmure des mots doux. Sa voix chaude semble remplie de promesses, il serre contre son cœur la main de Madeleine. Sa poitrine palpite sous l’émotion de cette étreinte. Puis des chuchotements, une odeur d’amande grillée... ”
Un frisson glacé ramena la jeune femme à la réalité.
- Ce n’est pas possible.

La dernière image montrait la façade de son hôtel particulier. Acheté deux ans plus tôt sur un coup de cœur, la demeure datait du dix-huitième siècle. Ambre avait succombé à son charme désuet. Devenue antiquaire pour satisfaire sa passion des vieilles choses, sa boutique occupait tout le rez-de-chaussée.
***
Fille unique, Ambre avait perdu ses parents dix ans plus tôt. Elle vivait seule et se débrouillait assez bien dans la vie. Ses amis l’encourageaient à sortir plus souvent et à trouver “ homme à son pied ”, mais ils ne la bousculaient pas. Ce qu’elle appréciait beaucoup. A bientôt trente ans, Ambre n’était pas pressée. De nature joyeuse et très indépendante, elle n’attendait l’aide de personne pour vivre.
Ce matin là, Isabelle, sa meilleure amie et associée, remarqua encore ses traits tirés. Les deux femmes s’entendaient à merveille. Les murs de la boutique résonnaient fréquemment de leur fou rire. Mais ces derniers temps, l’euphorie succédait aux crises de profondes mélancolies et cela l’inquiétait. La mort de Lutin qu’elle adorait n’avait rien arrangé. Si seulement la jeune antiquaire n’enfouissait pas ses émotions. Un tel contrôle n’était pas bon et surtout épuisant. Etait-elle sur le point de craquer ? Son petit sourire ne la trompait pas le moins du monde
- Bonjour Isa Je vois que tu as préparé le chèque de madame Carpentier.
- Oui, nous avons vendu tous les objets de la succession de sa tante, avec un joli bénéfice. En tous cas, le bijou que tu lui as acheté te va à ravir.
Ambre caressa du bout des doigts le profil délicat d’une femme, sculptée dans de l’ivoire. Le camée, cerclé d’argent massif rehaussé de huit marcassites possédait un éclat particulier. Depuis le jour de sa découverte lors de l’inventaire de la succession Carpentier, son regard n’avait pu s’en détacher. Ce bijou l’attirait, la fascinait. Elle le portait sans cesse. Ambre sourit. C’est comme si elle avait été envoûtée. Une angoisse traversa alors son cœur. Tout avait commencé avec l’achat de cet objet. Un vertige la saisit. Non, non, qu’est-ce qu’elle racontait ? Le manque de sommeil la faisait délirer.
Son regard fixait le chèque sans le voir. Les rouages de son cerveau tournaient à pleins régime. Elle réfléchissait, se torturait l’esprit pour essayer de comprendre la situation. Etre logique et surtout rationnelle, voilà la marche à suivre. D’un autre côté, Ambre mourrait d’envie d’en savoir plus sur ce camée. Un coup de téléphone à madame Carpentier devrait assouvir sa curiosité et chasser ses craintes infondées.
***
Le salon de lecture était sa pièce favorite. Un canapé et des fauteuils en cuir invitaient à la détente et à la lecture. Des rayonnages de livres tapissaient les murs. Les tons chauds du lieu apaisaient son coté trop cérébral. L’électricité fonctionnait partout dans la vieille demeure, pourtant Ambre préférait la lumière des bougies. Plusieurs chandeliers anciens rendaient l’atmosphère chaleureuse. Une tasse de chocolat fumante et une part de tarte aux pommes trônaient sur la table basse. Le regard dans le vide, Ambre analysait sa conversation avec madame Carpentier. Un suicide. Pour la famille, le choc avait été terrible. Rien n’avait laissé présager un tel drame. La défunte respirait la joie de vivre. La mort de son chien, quelques jours plus tôt, l’avait beaucoup affectée mais on ne se tue pas pour ça, n’est-ce pas ?
***
- Pourquoi… pourquoi… vous étiez mon amie et vous m’avez tuée.
Madeleine gisait sur le parquet. Louise la fixait impassible.
Ambre se réveilla en sueur sur le canapé où elle s’était assoupie un instant. Elle saisit le camée qui reposait sur la table basse à coté du chocolat maintenant froid. Ses yeux le scrutèrent à la recherche d’une réponse. Ambre sursauta lorsqu’elle crut voir le sourire du profil d’ivoire s’accentuer pour devenir narquois. A bout de nerfs, elle leva le bras pour lancer ce maudit bijou loin d’elle, mais quelque chose la retint à la dernière seconde.
- Je suis en train de perdre la tête.
Des larmes coulèrent le long de ses joues. Partir quelques jours loin d’ici l’aiderait peut-être à y voir plus clair. Son imagination fertile s’emballait, sans doute à cause d’une trop grande fatigue. Hélas, les recherches de madame Carpentier n’arrangeaient pas les choses. Bien au contraire, le mystère s’épaississait. Sa tante se serait jetée par la fenêtre du troisième étage de son immeuble. Son amie, celle qui lui avait offert le camée, lui avait raconté l’avoir surprise la veille de sa mort, un marteau à la main, essayant d’aplatir la broche. Pourquoi vouloir détruire un tel objet ? Son amie avait acheté le bijou sur un marché aux puces. Son précédent propriétaire était mort dans un accident de voiture. En y réfléchissant bien, il y avait bien des morts violentes autour de cette broche.
Ses recherches ne lui apportaient pas le repos de l’esprit tant espéré, bien au contraire. Chaque possesseur du camée était décédé de manière tragique. La jeune femme avait réussit à remonter à plus de quatre-vingt ans en arrière et n’en revenait pas. Ou son imagination lui jouait des tours, ou posséder cette broche se révélait dangereux pour la santé. Ambre ricana. Comment un aussi petit objet pouvait-il être aussi malfaisant ?
Elle poussa la tasse pour attraper son ordinateur portable. Que chercher ? L’écran dessinait des ombres inquiétantes sur son visage pâle. Son regard se posa sur la place vide de Lutin et son cœur se serra. Une caresse, un ronronnement suffisait pour la rassurer. Il n’était plus là et son absence lui était cruelle. Pourquoi n’appellerait-elle pas Isabelle pour l’inviter à boire un verre ? Pour sortir de cette maison, de cette folie ? Peut-être aurait-elle dû se confier plutôt. Son amie savait écouter et ses conseils lui étaient précieux. Oui, elle devrait.
Au bout de cinq minutes, Ambre n’avait toujours pas bougé. Harassée par une fatigue soudaine, il lui fallut toute la force de sa volonté pour se concentrer à nouveau sur ses recherches. Après réflexion, elle tapa “ bijou maudit ” dans le moteur de recherche. Elle ne s’attendait pas vraiment à une réponse probante. Il s’agissait juste d’une pulsion. Ses yeux s’écarquillèrent devant le nombre de résultats obtenus. Le sujet avait fait couler beaucoup d’encre : malédiction, mort, bijou qui absorbe l’énergie de celui qui le porte, possession. La liste était longue.
- Stupidités !
Ambre se leva, furieuse contre elle-même. Il fallait qu’elle soit au bout du rouleau pour croire à ces foutaises.
Neurasthénie avait dit le médecin. Légère dépression hivernale comme beaucoup de personnes à cette époque de l’année, il lui avait donné des médicaments pour ça. Seulement, Ambre n’en avais jamais souffert avant.
Une main sur sa poitrine oppressée, elle allait et venait dans la pièce. Ses doigts fébriles tortillaient une mèche de ses cheveux. L’envie subite d’allumer une flambée la saisit. Le salon paraissait plus sombre que d’habitude. Le front brûlant posé contre le marbre froid du manteau de la cheminée, Ambre regardait danser les flammes. Elle se sentait si fatiguée. La broche épinglée sur son corsage devenait plus lourde, tout comme ses paupières. Un rire moqueur la tira de sa torpeur. Une femme translucide la toisait à moins d’un mètre d’elle. Une main posée sur le guéridon, tout près d’un chandelier. Qui avait allumé les bougies ?
- Qui êtes… ?
Le reste de la question resta coincé au fond de sa gorge. Ambre recula pour s’appuyer contre le dossier du canapé, en proie à de violents tremblements. Son nez saignait.
Madeleine croyait sincèrement que son époux l’aimait. A partir de ce moment, elle avait fermé les yeux sur la réalité. Elle croyait tout ce qu’il lui disait. A une époque où le rôle d’une femme de l’aristocratie se limitait au rôle d’épouse et de mère, qu’aurait-elle pu faire ? L’autre n’était qu’une parvenue qui lorgnait ses bijoux, surtout son camée. Pour Madeleine, ce bijou représentait plus que des pièces d’or. Il se transmettait de génération en génération par les femmes. Son arrière arrière grand-père l’avait offert à sa jeune épouse en gage de son amour éternel. Il ne l’avait jamais trahi. Ce symbole de tendresse représentait un trésor pour elle. En fait, il évoquait tout ce qu’elle n’avait jamais eu. Louise, cette fausse amie le voulait pour des raisons triviales et pécuniaires. Lorsque ses doigts lâchèrent le verre de cristal empoisonné et que son regard croisa celui de son époux et de sa maîtresse, elle maudit sa naïveté. Des pensées de mort et de vengeance traversèrent son esprit. Et lorsque la vile traîtresse arracha le camée de sa poitrine encore palpitante, une colère, une rage sans nom l’emporta dans les ténèbres. Elle jura que tout n’était pas fini.
Les fenêtres explosèrent. Ambre protégea son visage de ses mains. Des morceaux de verre s’enfoncèrent dans la chair tendre de son corps provoquant une douleur fulgurante. Le chandelier tomba. Les lourds rideaux de velours s’enflammèrent en un instant. Les livres anciens reliés de cuir qu’elle aimait tant s’effondrèrent sur Ambre. Sous cette avalanche impossible, elle tenta de quitter la pièce, en vain. La jeune femme trébucha et s’effondra, une douleur fulgurante traversa son genou. Un gémissement s’échappa de ses lèvres crispées.
- j’étais douce autrefois, comme toi, murmura la créature, madeleine la douce, envolée ! Elle est morte. Aujourd’hui, je n’ai plus de pitié. A toi mes tourments.
Ambre essaya d’enlever la broche, mais ses doigts sanglants et tremblants glissaient sur le fermoir. En désespoir de cause, elle arracha le camée et le jeta dans les flammes.
- Trop tard ma chère.
Ambre leva les yeux, une poutre enflammée s’écrasa sur elle. Elle hurla de terreur. Une douleur vive et brève puis les ténèbres…

Les commentaires sont fermés.